La crise que nous traversons depuis plusieurs semaines met, entre autres, en lumière la situation vécues dans les EHPAD concernant la question délicate de la réanimation des résidents, notamment ceux qui sont dépendants, dont certains en situation palliative non terminale.
Cette problématique n’est pas nouvelle. Elle est inhérente à l’accompagnement des personnes dépendantes, voire très dépendantes. Ce qui est nouveau, c’est le nombre de résidents concernés en même temps pour lesquels ce choix est questionné. C’est bien la qualité de vie et le refus de l’obstination déraisonnable dans une démarche éthique structurée qui vont guider la réflexion collégiale amenant à une décision d’orientation ou pas vers une structure d’hospitalisation, voire de réanimation de ces résidents, « tous les patients, y compris âgés, doivent quoi qu’il en soit bénéficier de soins adaptés à leur situation dans un environnement médicalisé et de qualité »[1].
Les personnes âgées rentrent en EHPAD parce que le soutien à domicile n’est plus possible. Ce dernier déménagement – déracinement les mets en perspective de la mort ( que cela soit verbalisé ou non), la mort dans la vie qui reste à vivre, avec, et ses joies, et ses peines, dont cette anxiété parfois si déstabilisante.
Leur souhait, exprimé ou non selon les personnes, est de ne pas souffrir, de ne pas subir d’acharnement thérapeutique, et pour une grande part de ne pas être hospitalisés ( « Est-ce que vous gardez jusqu‘au bout ? »).
Les équipes élaborent un projet d’accompagnement le plus personnalisé possible et les différents professionnels mobilisent leurs compétences.
Après près de 30 ans d’exercice comme infirmier, cadre de santé et directeur dans plusieurs institutions gériatriques ( Foyer logement municipal, Maison d‘accueil pour personnes âgées – MAPA – et EHPAD), j’ai acquis la conviction que l’essence et les fondamentaux des soins gériatriques, en institution, sont très proches de ceux des soins palliatifs. Examinons pour nous en convaincre, la définition des soins palliatifs [2] :
Les soins palliatifs sont des soins actifs, continus, évolutifs, coordonnés et pratiqués par une équipe pluriprofessionnelle. Dans une approche globale et individualisée, ils ont pour objectifs de :
La démarche de soins palliatifs vise à éviter les investigations et les traitements déraisonnables tout en refusant de provoquer intentionnellement la mort. Selon cette approche, le patient est considéré comme un être vivant et la mort comme un processus naturel.
Nous mesurons, à cette lecture, l’étroite convergence de ces 2 disciplines médicales, qui cherchent à accompagner la personne pour ce temps qui lui reste à vivre, et que ce temps soit le plus confortable possible.
Le nécessaire apprivoisement entre le nouveau résident et les professionnel de l’EHPAD permet, après un certain temps, de trouver aux uns et aux autres, dans bon nombre de cas, les repères pour vivre, survivre parfois et continuer la route.
Quotidiennement, l’équipe s’interroge sur la pertinence d’un soin, d’un traitement ou d’un examen complémentaire, de telle ou telle hospitalisation. Certains rituels de santé ( biologie, consultation, traitement…) ont une force symbolique qu’il convient de respecter, voire d’encourager.
Le temps faisant son œuvre, les pertes successives s’installent. L’équipe s’adapte, cherche à parler ces diminutions, ces incapacités, cette dépendance. Elle cherche à qualifier à la personne, à ses proches, ce qui n’est plus possible : la poursuite d’un soin ou d’un traitement : l’alimentation au regard des fausses routes récurrentes ; les mobilisations (levers, changes, pansements) de plus en plus douloureuses ; des épisodes infectieux, et notamment pulmonaires qui se répètent ; un état de désaffectivation allant progressivement vers un état de somnolence…
Au jour le jour, il n’est pas si facile de mettre des mots sur cette fin de vie qui s’installe.
C’est dans ces moments que le questionnement interdisciplinaire, souvent amené par tel ou tel professionnel, va contribuer à chercher un sens, une direction, un objectif de soins. Dans ce contexte pandémique, l’utilisation de plusieurs outils (score de fragilité, niveaux de soins, pallia 10 géronto) associée aux recommandations du CCNE [3] et des société savantes [4] permettent de structurer la démarche éthique, de sortir de l’arbitraire et de trouver du sens à la décision.
Selon les échanges qui auront été possible en amont avec la personne âgée, sa personne de confiance, ses proches aidants, va se dessiner un projet de soins privilégiant ce qui est souhaitable parmi les nombreux possibles thérapeutiques, en respectant les directives anticipées de la personne (quand elles sont écrites, ou, à défaut, ce qu’elle a pu dire sur ses soins en fin de vie).
Ce processus cherche à privilégier la qualité de vie de la personne : sa sécurité psychique, affective et relationnelle, spirituelle, son confort (douleur, anxiété, dyspnée, digestif) en refusant l’obstination déraisonnable [5]. Il débouche sur un nouveau projet de soins qui réoriente toute la mobilisation interdisciplinaire autour d’une présence accentuée, d’un travail en binôme, de soins du corps déployés, d’une évaluation précise des différents symptômes) avec, et c’est un point majeur, une anticipation des prescriptions, permettant de soulager au plus tôt un inconfort, survenant parfois le soir, la nuit, le dimanche.
Ce travail, dans le dialogue évoqué plus haut avec le résident et/ou ses proches, sera tracé, inscrit dans le dossier médical. Il sera adressé, lorsque la procédure est en place, au SAMU local via la fiche « SAMU Pallia » [6] de façon à ce que les professionnels de nuit et/ou de week-end, puissent connaitre les consignes claires concernant ces personnes et dialoguer avec le médecin régulateur.
Depuis la loi du 9 juin 1999 garantissant le droit d’accès au soin palliatif pour toute personne dont l’état le requiert, le législateur n’a eu de cesse de situer le citoyen acteur de sa santé ( Loi de 2002 [7] ) voire décideur de sa fin de vie (2005 et 2016 [8]).
Pour autant, les médecins coordonnateurs, les psychologues, les cadres de santé et les soignants expriment leur difficulté pour aborder cette question avec le résident : quels sont vos souhaits, au cas où vous ne pourriez-vous exprimer, au sujet des soins dont vous bénéficieriez, si vous êtes dans un état nécessitant des soins de réanimation ?
Le moment de la préadmission, premier contact, ne semble pas opportun (même si quelques personnes en parlent spontanément). C’est identique pour les premiers jours d’installation. L’élaboration et le renouvellement des projets de soins individualisés – PSI- (ou appelé encore projet personnalisé d’accompagnement – PPA) semblent le moment le plus adapté. Mais cela, dans la réalité, reste difficile et en tous cas très peu réalisé ( moins de 10% dans les établissements médicosociaux). Pour la population générale, le Président du Conseil Consultatif National d’Éthique (CCNE) disait le 21 mai 2019 sur France inter : « Seuls 13% des Français ont rédigé leurs «directives anticipées» concernant leur fin de vie ».
Le développement de l’utilisation de Niveaux de soins ( grille [9] permettant au médecin, dans un dialogue avec le résident et/ou ses proches, de déterminer un niveau de soins de 1 à 4 : 1 : tous types de soins sont prodigués (hospitalisation, réanimation) jusqu’au niveau 4 : soins palliatifs, sans hospitalisation, avec traitement de confort pour soulager la douleur, pourra contribuer à ce dialogue, cet échange.
Quel que soit les outils, la démarche d’aborder la mort avec quelqu’un, « sa » mort et les conditions qu’il souhaite, reste une difficulté et sans doute, fait vivre une impression d’échec, d’anticipation déplacée. Comme si parler de la mort, la convoquer en amont pourrait laisser penser, pour le soignant, qu’il ne la combat pas. Mais cela amènerait un autre débat !
La non hospitalisation de résidents d’EHPAD fragiles, en situation palliative non terminale, après une réflexion éthique rigoureuse, est une pratique partagée par un certain nombre d’établissements qui, à l’écoute des résidents, de leurs proches, honorent le refus de l’obstination déraisonnable et de l’acharnement thérapeutique. Ils ont recours aux équipes mobiles de soins palliatifs, aux prescriptions anticipées des médecins traitants garantissant des soins de confort ajustés, adaptés, proportionnés, répondant aux besoins des personnes qu’il accompagnent. Évidemment, cela suppose des compétences, un effectif suffisant, des professionnels formés.
Gageons que la fameuse Loi Grand âge et autonomie annoncée depuis tant d’années, dans le contexte que nous traversons, apportera les moyens nécessaires [10] à ce développement des soins palliatifs en EHPAD.